D’origine sénégalaise, Rougui Dia est née le 27 février 1976 à Paris. Elle est l’une des rares femmes chef cuisinier qui, dans le milieu machiste et fermé de la cuisine gastronomique a grimpé les échelons à la vitesse de l’éclair… De 2005 à 2012, elle est la cheffe de cuisine du 144, le restaurant parisien d’Armen Petrossian, et prend l’année suivante la direction des cuisines du restaurant Le Vraymonde. Avoir une femme à la tête d’une brigade de cuisine peut sembler anodin aujourd’hui, mais à l’époque Rougui était l’une des rares femmes à exercer ce métier en France.

Enfance
La famille de Rougui Dia est originaire du village de N’Ganno, situé dans la région de Fouta-Toro, dans le nord du Sénégal. Son père, toucouleur, et sa mère, qui appartient à l’ethnie peul, ont sept enfants. Son père s’établit en France dans les années 1960 avant d’être rejoint par son épouse pour un regroupement familial.
Rougui grandit alors à Neuilly-Plaisance en Seine-Saint-Denis. Jusque-là, la cuisine ne s’est pas encore révélée comme un don, la jeune fille apprécie simplement les plats de sa mère, qui lui font découvrir les saveurs africaines. Elle pensait qu’elle ferait carrière dans l’armée, ou dans la couture. Cependant à l’issue de son année de cinquième, elle est orientée vers l’enseignement professionnel.
La découverte de son don fut purement fortuite. Sa grande-sœur lui confia un jour la confection du repas pour les membres de la famille. Ce fut un succès. Il n’en fallait pas plus pour faire de cette révélation un métier. Pour éviter de suivre des cours dans un LEP (Lycée d’enseignement professionnel) éloigné du domicile familial, Rougui abandonne la couture et intègre l’école hôtelière de Villepinte plus par nécessité que par envie. La cuisine étant encore pour elle une corvée. Elle entre en préapprentissage dans une pâtisserie et effectue un stage au Drugstore Matignon. Elle peine à trouver un maître d’apprentissage, mais obtient son CAP de cuisine en 1996, ainsi qu’un diplôme de service en salle. Encouragée par ses formateurs, elle passe un BEP à l’école hôtelière de Villepinte et poursuit ses études jusqu’au baccalauréat professionnel, qu’elle décroche en 1999.

Une carrière semée d’embûches
Le vrai goût pour ce métier viendra plus tard. Et malgré son talent et sa détermination la cheffe, a néanmoins connu des débuts professionnels très difficiles avec deux années de chômage déprimant à cause d’un racisme encore existant. Il lui faut alors batailler. Aller à l’encontre des préjugés. Prouver que, même si elle a été élevée dans une famille nombreuse musulmane, par une mère femme de ménage, et un père mécanicien, elle est française à part entière. Malgré la douleur ressentie face aux remarques blessantes, à l’intolérance et à la xénophobie, la jeune femme assume avec fierté sa double culture, synonyme de richesse. Courageuse et acharnée, elle ne baissera pas les bras.
Elle réussit à décrocher un poste au restaurant Chez Jean dans le 9ème arrondissement de Paris. C’est là qu’elle rencontre l’homme qui changera son destin : Sébastien Faré avec lequel elle se lia d’amitié. A l’âge de 24 ans, suit Sébastien Faré aux Parisiennes, un petit restaurant de la rue Marboeuf dans le 8ème. Elle fait toujours partie de sa brigade lorsqu’il devient le second de Philippe Conticini au 144, le restaurant d’Armen Petrossian ( 1 étoile au guide Michelin) situé dans le 7e arrondissement. De commis, Rougui gravira les échelons jusqu’à devenir second de cuisine. Une suite logique : Conticini s’en va, elle devient second de Faré et lorsqu’il s’en va, elle devient chef à moins de trente ans ! Compte tenu de sa personnalité et de son talent, Armen Pétrossian décide de lui confier le poste de cheffe de cuisine, misant aussi sur sa jeunesse et la pertinence de son regard féminin.
Femme combative et engagée, Rougui Dia aidera aussi un grand nombre de jeunes issus de l’immigration en les faisant travailler dans le restaurant. Dans la cuisine du 144, Rougui Dia apporte sa propre touche : un savant dosage de douceur et d’intransigeance dans le travail. Sa cuisine, orientée vers les poissons et les crustacés, est naturelle : légèreté des cuissons, sauces épurées, épices subtiles… L’inspiration ne manque pas à cette jeune chef qui crée et retravaille de façon différente les produits « maison ». Elle restera onze ans chez Pétrossian avant cette opportunité imprévue de prendre les cuisines du nouveau lieu chic parisien, le restaurant du Buddha Bar Hôtel Curieuse et créative, Rougui fait de ses différents voyages et expériences, de ses origines, de ses rencontres et de son quotidien, une perpétuelle source d’inspiration. Elle allie les textures, les couleurs et les saveurs afin de créer de nouvelles saveurs toutes plus envoûtantes les unes que les autres.
Elle a toujours aimé se lancer des défis. « Quand j’ai débuté le chef Philippe Conticini m’a avertie en me disant que ce serait plus dur et plus long pour moi. » En clair, dans ce métier être une femme et noire, dans un milieu réputé machiste et fermé, n’allait pas faciliter sa carrière. « Qu’importe d’où vous venez, ce qui compte c’est où vous allez ». D’abord fâchée à ses débuts avec l’école, Rougui la bûcheuse boulimique de lecture est devenue chef en un clin d’œil ! Aujourd’hui elle est à Paris un chef réputé qui tient son rang avec prestance.
En 2006, elle publiera « Le chef est une femme », un livre autobiographique qui parle de son parcours, et de sa rage de vaincre. Avec simplicité et modestie, elle y décrit son quotidien en cuisine, raconte ce Sénégal qui lui est cher et revient sur le parcours difficile qui a fait d’elle une figure novatrice de la gastronomie française.
En 2013 elle rejoint le Buddha-bar hôtel, dans le 8e arrondissement, en tant que chef de cuisine du restaurant Le Vraymonde. La cuisine, sa passion, est à ses yeux un art qui exalte les sens, au même titre que la musique. Elle s’y investit corps et âme, au point de retarder le projet de fonder une famille.
En 2014 elle recevra le 11e prix « Trofémina 2014 » dans la catégorie restauration. Ce prix de qualité récompense des femmes talentueuses, innovatrices et porteuses de réussite dans leur milieu professionnel.

Le rêve gourmand
Ce que beaucoup ignorent, c’est que Rougui a fait ses débuts en pâtisserie boutique. Ce n’est qu’après qu’elle a fait de la cuisine. En côtoyant Conticini, son amour pour la pâtisserie a continué de grandir. Après des années à la tête de prestigieuses cuisines, son goût du risque revient au galop.
« J’ai quitté mon dernier emploi parce que j’y étais trop bien. Une zone de confort : poste à responsabilités, salaire confortable, adresse prestigieuse, une équipe formidable. J’ai décidé de tout lâcher pour me lancer dans le vide. Je me suis dit que si je ne le faisais pas à ce moment-là je ne le ferai jamais. Alors je l’ai fait ! »
En 2015 Rougui quitte le Buddha Bar Hôtel et se lance dans l’entreprenariat. Malgré sa notoriété, son talent et tout son bagage professionnel, elle suivra pendant un an, des cours de création et gestion d’entreprise. « Pour moi, repasser par la case formation n’est pas une perte de temps mais un investissement, parce que je refuse de me contenter de peu, j’aime apprendre, il n’y a pas d’âge pour apprendre, je suis toujours dans l’apprentissage et la découverte ».
En 2016, avec son Sébastien Faré son complice de longue date et associé, Rougui Dia ouvre son rêve gourmand : « Un Amour de Baba », une pâtisserie coquette, au style épuré, située rue du Faubourg Saint-Honoré dans le 8ème arrondissement parisien. Cette adresse mono-produit entièrement consacrée au baba, décline le légendaire dessert en le réinventant à chaque fois.
Le choix de ce dessert a été conduit par les souvenirs d’enfance de Rougui liés à ce dessert et son constat du fait qu’il est celui qui avait le plus de succès dans les restaurants où elle a travaillé.
Les puristes de la recette traditionnelle seront satisfaits en dégustant ce classique, avec sa pâte levée moelleuse, bien imbibée d’un AOC rhum ambré de Martinique et rehaussée d’une crème au mascarpone très aérienne. Les autres versions du gâteau valent aussi le coup de cuillère, qu’elles soient alcoolisées (Grand Marnier, alcool de framboise ou irish coffee) ou pas (kalamansi et ganache au chocolat blanc ; hibiscus et Litchi, vanille et citron ou passion et chocolat au lait). Dans la boutique, Rougui est aussi bien à la production, qu’à l’accueil et à la vente. Son carnet de commande ne désempli pas. « C’est une nouvelle page qui s’ouvre, et j’aime ça ».
Depuis Avril 2019, Rougui Dia, s’est exilée à Denver où avec sa sœur Aminata, elle a ouvert un café parisien chic : « Le French » dans le complexe Belleview de la ville.